À l’occasion de la sortie de la carte des vins du Chantier, l’équipe est revenue sur le parcours de celui qui a concocté cette carte complète, élégante mais pas “pompeuse” pour un sous. Le meilleur sommelier de la région, qui officie à la Villa Madie (Cassis) toute l’année, a pris le temps d’expliquer ses choix pour le Chantier.
Comment est-ce que tu es arrivé dans le milieu du vin ?
Je voulais faire de la restauration, c’était évident. En fait je suis entré au lycée hôtelier classiquement. À l’époque c’était beaucoup plus compliqué que maintenant, parce que je trouve que le métier se perd pas mal. Et en je me suis inscrit à un petit concours de vin qui était organisé. J’ai pas pris la mesure de ce concours là au départ. Puisque c’est le concours des vins du sud-ouest qui maintenant a une côte de folie. Avant c’était très simple, c’était pour les gens qui n’ont pas de formation en sommellerie mais qui s’y intéressent et du coup ça m’a vachement plu parce que ça m’a forcé à bosser. En plus il n’y avait qu’un vignoble prédéterminé, donc c’était le sud-ouest. Il y avait un petit bouquin à bosser, je l’ai appris par coeur. Je me suis classé pas trop mal alors que j’étais tout jeune, tout petit, voilà. Et du coup ça m’a plu, alors j’ai décidé de continuer. J’ai terminé mon cursus en bac techno-hôtelier et je me suis spécialisé ensuite en sommelier. C’était en 2000, j’ai fait un brevet professionnel de sommellerie. C’est un super diplôme que je ne regrette vraiment pas d’avoir fait, en alternance avec visite de vignobles…
Était-ce dans le sud-ouest également ?
Non. Alors là, je l’ai fait à Avignon parce qu’à l’époque il y avait 4 écoles en France et le plus près de chez moi c’était Avignon. Bien que moi je suis du sud-ouest, du Béarn.
En quoi consiste ce diplôme plus précisément ?
C’est un apprentissage, en alternance, on travaille comme un professionnel, avec un contact professionnel, tout ce qui fait les bonnes manoeuvres et les bons fondamentaux à acquérir sur le terrain, ainsi qu’une grande partie théorique. Moi à l’époque c’était un jour et demi par semaine. Et plus, à hauteur de 4 voyages par an, d’une semaine à chaque fois en visite de vignobles en France : Bourgogne, Bordeaux, Languedoc Roussillon ; Jura, Savoie, Beaujolais ; Champagne, Alsace, Vallée de la Loire, et ainsi de suite.
Donc ça permet de maîtriser toutes les étapes de production…
Ben tu rencontres les viticulteurs, tu vois les terres, tu rencontres les vignerons qui t’expliquent comment on fait le vin. Ça permet de mêler la théorie à la pratique. Moi j’avais la chance en plus à l’époque d’avoir un prof qui était finaliste du MOF Sommellerie donc lors des cours on a profité de ses connaissances. Après il y a un gros boulot personnel à fournir. Il y a une théorie à avaler qui est assez imposante. Il faut connaître les cépages, les caractéristiques gustatives et comment s’accorde chaque vin…
Et concernant ton activité actuelle, tu es chef-sommelier pour une grande table de la région. Depuis combien de temps ?
C’est ma 10ème année à la Villa Madie oui.
Et avant cela, qu’as-tu fait ?
J’ai passé 6-7 ans sur Lyon où j’ai fait plusieurs restaurants étoilés, une et deux étoiles. Finalement j’ai été sur Lyon et ici. Je n’ai jamais travaillé à l’étranger.
On est bien dans le sud…
Oui c’est la plus belle région du monde ici ! (rires)
Pour revenir sur tes projets actuels, comment as-tu rencontré l’équipe du Chantier ?
Frédéric Imbert (patron du Chantier, ndlr) est un client. On a sympathisé professionnellement, humainement, puisque c’est un grand amateur de vins. Le contact s’est donc très vite établi. De ce fait il m’a demandé de lui donner un petit coup de main pour la reprise du Chantier. J’ai donc accepté avec grand plaisir. Parce que c’est quelqu’un que j’apprécie, parce que c’est un client, parce que j’ai le support pour le faire grâce à la petite société que j’ai en parallèle de mon activité principale. Depuis début janvier on travaille dessus : voir comment faire avec une carte existante, voir ce qu’on peut enlever, ce qu’on peut ajouter et comment on va la personnaliser.
Et comment a été choisi le vin pour le Chantier ? Est-ce qu’il y avait des demandes spéciales ?
On est reparti un peu de zéro dans le sens où on a conservé quelques références qui étaient selon moi à garder. On a essayé de mettre une touche un peu plus perso, un peu plus variée aussi. C’est à dire que la carte est quand même ambitieuse puisqu’elle propose des régions qui ne sont pas forcément connues ici. Même si la carte des vins fait quand même la part belle à la Provence, il y a des très belles références, de très belles déclinaisons à la fois rare et recherchée. C’est ce qui je pense va tout de suite dénoter avec l’ambition de mettre des bouteilles à un certain prix parce qu’il y a des clients qui peuvent venir se faire plaisir et il y a une cuisine qui va être élaborée. Le but était de varier, de ne pas hésiter à mettre des vins étrangers, d’autres régions car je pense qu’il y a une demande. Il y a la recherche aussi puisque ici il y a beaucoup de restaurants, par contre c’est vrai que la majorité d’entre eux proposent une carte seulement régionale. Si on a une bonne cuisine et si en plus on peut se faire plaisir avec des vins qui viennent d’ailleurs, on se démarque, les gens reviennent. On repère un vin d’une autre région et on projette de le déguster une prochaine fois.
Essentiellement ce sont des vins qui sont en agriculture biologique, biodynamique. C’est important, ou du moins que ce soit raisonné. Le but c’est d’avoir des vins très purs, avec de l’éclat et qui sont digestes surtout.
Nous n’allons pas te demander de révéler tes secrets… Mais y a t-il des producteurs avec qui tu as l’habitude de travailler ? Des personnes que tu retrouves ?
Oui bien sûr. Dans le cadre de mon travail de chef-sommelier à la Villa Madie, j’ai l‘occasion de rencontrer, d’avoir accès et de pouvoir faire rentrer certains vins qui sont quand même assez rares et recherchés.
Comment ça se passe ? Est-ce que les producteurs se rapprochent de toi pour faire connaître leurs produits ?
En général les très très bons, c’est à nous d’aller les chercher et dans ces cas-là, je travaille avec des relais. J’ai aussi un petit réseau de commerciaux qui viennent me faire découvrir des vins.
Et pour les vins étrangers c’est pareil ?
Là ce qui est bien c’est que sur la carte des vins du Chantier, on a un panel de 6 à 7 pays différents avec des vins blancs secs, des moelleux, des vins rouges. Il y a une super sélection. Il y a vraiment des vins à découvrir. Ça va dans le sens de ce que Frédéric recherchait : très ouvert sur l’étranger et il n’hésite pas à être curieux et à goûter des vins qui viennent d’un petit peu partout. Ça va dans la logique de la découverte culinaire.
Depuis combien de temps existe cet engouement pour les vins étrangers ?
Ça a explosé il y a une quinzaine d’années, avec ce qu’on appelait “les pays du nouveau monde” pour le vin. Alors que la plupart d’entre eux ont toujours fait du vin. Par contre on nous envoyait des vins assez standardisés.
Sur la carte proposée pour le Chantier, il y a des vins rares. Le but était de mettre des vins que l’on ne retrouve pas dans des supermarchés ou partout ailleurs. La plupart du temps ce sont des vins qui viennent d’une toute petite production, du coup ça amène de la rareté. Ça apporte une sorte de prestige et il y a un côté unique.
Et pareil pour les vins français du coup ?
Sur les vins français, le but dans un premier temps, c’était, pour tout ce qu’on allait greffer hors région, de proposer soit de la très belle découverte, soit des appellations plutôt phares mais travailler avec des producteurs qui poussent l’identité de leur terroir. Ce qui est fait hors région est vraiment de très très bonne qualité.
Pour l’instant on est peut-être assez classique sur le hors région mais par contre il y a ce qu’il faut là où il faut.
As-tu un vin favori sur la carte du Chantier ?
Il y a un Bellet blanc de Clos Saint Vincent qui est un des vins les plus rares de la région car il n’y a que 70 hectares sur l’appellation, c’est tout sur des terrasses naturellement avec des plans qui ne permettent pas des densités de production énormes. Ce sont des productions qui sont petites et qui viennent dans la logique de la superficie. C’est un très grand vin de la région qui est fait en biodynamique, qui est sec, minéral, avec du gras et une grosse intensité aromatique. Très belle complexité en boisée très fin. Ça c’est une des perles de la carte.
Il s’accorderait avec quels types de mets ?
C’est un vin polyvalent donc aussi bien avec une viande blanche, qu’avec une entrée ou à l’apéritif. Il a tout ce qu’il faut. C’est du très grand vin.
Et les autres vins phares de la carte ?
Il y a les Bourgognes de chez Lucien Le Moine qui sont intouchables pour la plupart des gens. C’est très très compliqué d’en avoir. C’est quelqu’un qui fait des vins en bio comme le faisaient les moines à l’époque. C’est ce qui explique ce nom car ne n’est pas son vrai nom. Ce sont des vins riches, veloutés, délicats, hyper digestes, qui n’ont quasiment pas de soufre et des élevages très longs donc qui sont très en place.
Sur l’étranger, il y a un Chardonnais d’Afrique du sud hyper rare, magnifique, Hamilton Russell, qui rappelle de grands bourgognes blancs.
Il y a un super Sancerre en blanc et un rouge du domaine Delaporte (Vallée de la Loire, ndlr). On va découvrir le Sauvignon vraiment, en intensité fraîche, citronné et dans toute sa pureté.
Je suis très content de la sélection, tout est excellent.
Le Chantier propose une très belle carte avec des viandes maturées. Qu’est ce que tu conseillerais par exemple avec de type de plat ?
Il y a notamment des vins rouges de la région. On a une belle sélection de Bandol, on a aussi des vins de la Vallée du Rhône. Dans ce sens-là, on a mis aussi un Languedoc rouge pour avoir un peu de puissance mais sur un terroir qui est situé au nord de l’Hérault pour avoir un peu d’altitude où l’on a des vins beaucoup plus élégants et digestes tout en ayant ce qu’on recherche du Languedoc : la richesse, des vins colorés, épicés.
Les vins étrangers aussi, ils ont été sélectionnés dans ce sens-là. Avec des vins concentrés, puissants mais jamais tanniques. On a notamment un super vin d’Argentine qui est fait en altitude, 100% Malbec. Un super vin du portugal aussi, qui est fait avec le cépage du Porto mais en rouge sec. Pour ceux qui vont vouloir se faire plaisir, il y a une sélection parcellaire de chez Michel Chapoutier qui fait des vins incroyables. Il y a quelques Bordeaux aussi pour aller dans le sens de la puissance que nécessitent ces viandes affinées.
En fin de compte comment définirais-tu la carte ?
C’est une carte qui fait preuve de beaucoup de variété, qui est hétéroclite, très ouverte sur le monde également. Je pense que l’équipe conseillera par exemple un Riesling allemand avec plaisir, parce qu’il est juste magnifique. Avec celui-ci je vois très bien un apéro entre amies : blanc sec, un peu souple, pas trop minéral, très suave, flatteur, citron confit, la pêche blanche. Vin qui finit presque avec un tout petit peu de sucre, ou du moins la sensation.
Le but est de vraiment faire vivre la carte. Je me suis beaucoup rapproché pour cela de Laurent Nencioni, le responsable de salle du Chantier.
En somme, elle est simple, accessible et complète.